Pas un son n’est sorti de sa bouche, ni sur le coup ni après. Seulement le bruit d’un impact, puis de roues cahotant, comme sur une chaussée défectueuse.
La victime gisait au milieu de la rue, couchée sur le côté. Sa mort m’aurait moins troublée que ces spasmes mous qui agitaient ses petites jambes. Sa tête restait immobile, ses yeux, inexpressifs. J’étais convaincue qu’elle ne comprenait pas tout le tragique de sa situation, mais je l’étais moins pour admettre que cela était mieux pour elle. Mourir sans comprendre ce qui lui était arrivé, cela m’apparaissait injuste. Chose certaine, j’espérais qu’elle était suffisamment sonnée pour ne pas subir le martyr de ses os écrasés.
Sa détresse apathique m’a paralysée ; je l’ai fixée pendant un long moment, sans pourtant me résoudre à lui porter secours. Je craignais de l’achever en la déplaçant – du reste, j’étais terrifiée à l’idée de m’approcher d’elle, de deviner sur son corps dodu les traces du délit. J’aurais contacté les autorités si j’avais eu le moindre espoir qu’elle survivrait. Or, je ne le voulais même pas, qu’elle survive : j’aurais préféré mettre un terme à ses souffrances, là, maintenant, pour lui éviter toute douleur immédiate ou tout handicap qui gâche une vie, la sienne comme celles de ceux qui en avaient la garde.
Aussi ai-je finalement repris mon chemin à contre-coeur, mais embarrassée par cet élan de voyeurisme morbide. D’ailleurs, je n’ai pu m’empêcher de me retourner compulsivement, en souhaitant à chaque fois que quelqu’un l’ait remarquée et lui soit venue en aide. Son agonie hante ma mémoire. Ce soir, quelqu’un a dû l’attendre impatiemment, puis la chercher avec inquiétude, pour peut-être découvrir finalement son triste sort. Une vie de perdue, huit de retrouvées ? Si c’était vrai, pauvre chat.