Le 20 octobre dernier, j’ai assisté à un spectacle où six aspirants humoristes cherchaient à tour de rôle à dérider la foule. Je crois, à tout le moins, qu’ils étaient six (je crois, aussi, qu’ils cherchaient à faire rire) ; je suis partie à l’entracte, après avoir accumulé le maximum de non-fun. De l’animateur qui, en cette journée contre l’homophobie, s’est porté à la défense des gais en les associant (sans le vouloir?) à des filles à qui on n’a pas besoin d’expliquer les règles lors d’une partie de hockey, à celui qui s’est moqué de la Gaspésie parce qu’elle était loin et que, donc, on devrait s’en séparer : un peu d’humour drôle aurait été bienvenu en la circonstance. Peut-être alors aurais-je mieux accueilli la pointe sur Michael Jackson lancée par le troisième en liste : « Le chanteur : un génie. L’homme : une merde ».
Les éclats de rire ont fusé partout dans la salle. Je reviendrai peut-être, dans un prochain billet, sur l’absence totale de sens critique quand l’esprit est au divertissement. Pour l’heure, c’est à tenter de comprendre où est la blague dans « l’homme : une merde » que je m’appliquerai ici et dans les prochaines entrées – il ne pourra être dit que je n’aurai pas cherché partout et consciencieusement le comique de cette affirmation.
Les démêlés avec la justice
On pensera d’abord que « l’homme : une merde » fait référence aux soupçons de pédophilie qui ont pesé contre Michael Jackson. Faisons abstraction, pour l’instant, du fait qu’il n’y a rien de particulièrement comique dans l’idée d’un adulte qui agresse un mineur – surtout si, en traitant l’homme de merde, « l’humoriste » croit cette idée effectivement fondée.
Je commencerai donc par rappeler que Michael Jackson a été acquitté des charges de pédophilie qui pesaient contre lui en 2005. Fait important à rappeler, puisque les médias, au terme d’une campagne qui le condamnait moins sur la base du procès que par soif de scandale et de sensationnalisme (tel que résumé par Charles Thomson et Aphrodite Jones), n’auront pas eu l’humilité d’admettre avec la même énergie que l’homme était loin d’être une merde, finalement. Du moins selon un jury unanime qui a eu accès aux preuves et qui, en toute connaissance de cause, a rejeté les dix chefs d’accusation. « They didn’t see what we saw. » S’il y a matière à rire ici, c’est en lisant la transcription du procès, où l’un des procureurs, désespéré devant le démenti répété de Macaulay Culkin à l’effet de tout geste inapproprié à son endroit, en vient à suggérer que « while you were asleep as a nine-year-old kid […], you wouldn’t know what happened while you were asleep, right? » Matt Taibbi, dans un article pour le Rolling Stone Magazine qu’il a repris dans un ouvrage, a également souligné le comique de la situation (pour peu qu’on ne la subissait pas) :
The prosecution’s case therefore boils down to this : In a panic over negative publicity, Jackson conspires to kidnap a boy and force him to deny acts of molestation that in fact never happened, and then he gets over his panic just long enough to actually molest the child at the very moment when the whole world is watching.
Visiblement, l’« humoriste » n’est pas allé au-delà de quelques déclarations glanées dans les médias pour émettre son jugement. Alors voilà notre homme qui lit Vanity Fair : « Michael Jackson would probably never have spent more than a moment’s time with this poor, dysfunctional family if he hadn’t had an ulterior motive » (j’omets volontairement le lien vers le site). Coupable et machiavélique, conclura celui qui, avec l’auteure de l’article cité, vit dans un monde merdique (c’est le bon mot) sans solidarité ni générosité aucunes (d’où que tous deux n’auraient jamais entendu parler de l’œuvre humanitaire de Michael Jackson, We are the world, Heal the world, les millions en dons de charité, les visites dans les hôpitaux…).
Mais soit ; il a droit à son opinion, même s’il est incapable de s’en forger une par lui-même. Et puis, la fin justifie les moyens : l’humoriste n’est pas tenu de (faire) réfléchir, mais de faire rire. Ce qui nous ramène toutefois à l’objection du début : en quoi la pensée et le geste de la pédophilie sont-ils drôles? Serait-ce qu’on se bidonne, un peu méchamment mais on ne rit jamais mieux que du malheur de l’autre, de la déchéance d’une superstar? Mais alors, au détriment de l’enfant agressé? Serait-ce de ces blagues qui cherchent à provoquer moins le rire que la réflexion? Mais plus je réfléchis à cette blague, et moins elle a un sens.
À moins que « l’homme : une merde » renvoie aux allégations de 1993 qui se sont soldées par un règlement monétaire hors cour, lequel paraît à certains comme un aveu de culpabilité. Encore là, notre « humoriste » aurait pu lire plutôt que (genre) rire. Il aurait appris qu’un règlement au civil n’invalide pas la tenue d’un procès au criminel – d’autant que ce n’était pas une clause du règlement. Lequel, par ailleurs, a été décidé et assumé par la compagnie d’assurance du chanteur (« The 1993 Civil Settlement was Made by Mr. Jackson’s Insurance Company and was Not Within Mr. Jackson’s Control »), en vertu des droits que lui conférait le contrat et en raison qu’un procès aurait été plus dispendieux. C’est sans compter que la justice a tenté pendant deux ans de constituer un dossier criminel sur Michael Jackson. Que l’éventualité d’un procès demeurait possible jusqu’en 1999, en vertu des lois. Que les procureurs ont dû s’avouer vaincus car ni la présumée victime ni les autres enfants qui ont croisé le chemin du chanteur n’avaient matière à témoigner (Geraldine Hughes). De sorte que si notre ami faisait référence à ces allégations de 1993, il nous invitait à rire à propos de rien – ou, sinon encore, d’une agression pédophile.
À la lumière de ce rapide survol des soupçons de pédophilie qui ont pesé sur Michael Jackson, force est de constater que la blague, si elle y faisait référence, n’a rien qui puisse relier « l’homme : une merde » aux éclats de rire entendus. Ceux qui croient à la thèse de la pédophilie n’auraient pas ri. C’est dire que la clé de la blague se trouve ailleurs, selon toute vraisemblance. Un prochain billet postulera donc que « l’homme : une merde » porte sur l’apparence de Michael Jackson.
[10 avril 2011 : Je n’ai pas poursuivi l’enquête. Si c’était l’apparence de Michael Jackson qui était en cause, j’aurais eu de la difficulté à ne pas lancer, au détour, que c’était l’équivalent de rire des gros – oh, et tiens, l’humoriste était justement gros. Le fait est que cet « humoriste » n’a pas trouvé mieux que de recycler du matériel avec lequel tous les « humoristes » se sont torchés (bravo pour la défécation), et que le public n’a pas trouvé mieux que d’oublier de réfléchir (bravo pour la lobotomisation)].