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Déluge

                                               Pendant tout le jour la tempête fit rage, de plus en plus violente ; Elle s’abattait sur l’humanité, comme une armée déferlant sur le monde
L’épopée de Gilgamesh

Cela faisait longtemps que ça ne m’était arrivé, un couteau dans la tête, le sang qui défonce les murs de l’appartement, le silence de l’univers. Pourtant, on ne saurait mieux voyager que sur son propre Déluge, la douleur étant le plus court chemin entre deux points – de Montréal à Paris, d’Athènes à Los Angeles, (de partout à Tokyo, à Kandahar, à Tripoli, à Port-au-Prince). De la terre (comme) au ciel. La solitude des catastrophes dont les souvenirs s’inscrivent à même la chair, au plus près du coeur. Là où on ne les voit pas, là même où on les oublie, mais là d’où s’étend tout horizon. Ces fêlures fantômes d’où l’on (s’)écrit, en toute ignorance des mots.

 
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Publié par le 17 avril, 2011 dans présence de soi, prose

 

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Plus j’écris, plus je n’écris pas

Je lui avais répondu que plus j’écoutais la chanson, plus je l’aimais – alors que la relation était moins proportionnelle que causale : j’aimais la chanson, donc je l’écoutais en boucle. Mais lui, il aura grandi dans ce malentendu, et il sera entré dans les ordres en se convainquant que, plus il lirait Jésus, plus il l’aimerait. Il aura rêvé de fonder une nouvelle communauté, sans comprendre que, pour ces pairs aussi, l’amour pour Jésus était l’origine et non la finalité. Est-ce parce qu’ils ont réalisé sa méprise qu’ils l’ont abandonné, l’un après l’autre ?

Il s’exila pendant quelques années au Brésil. De bidonville en bidonville, il construisit des écoles. Il était chaque fois accueilli comme un sauveur, dans un tonnerre de djembés. Il enseignait à tous ces déshérités que, plus ils étudieraient, plus ils aimeraient cela. Il n’avait pas quitté les lieux depuis une journée que les livres brûlaient, et avec eux l’école, devant une foule qui s’entretuait pour s’approcher des chaudes flammes, quitte à y laisser la peau des plus faibles.

À son retour, il m’avait fixé un rendez-vous au Tim Hortons. Cadavérisé par le néon, achevé par le café, il me confia la certitude de l’Appel qu’il avait reçu. Certes, c’était un véritable chemin de croix, mais plus il souffrait, plus il aimait Jésus. En fait, « j’aime Jésus, donc j’accepte de souffrir ». Dans les deux cas, ça n’allait pas.

 
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Publié par le 9 avril, 2011 dans Uncategorized

 

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L’homme au sarcome

J’ouvre une bouteille de vin, avec l’intention de passer au travers. Un homme que je ne connais pas a souffert d’un sarcome au visage il y a plus d’un siècle. On dit qu’une partie de la mâchoire lui a été retirée. Je crains d’apprendre qu’il en est mort. Car je sais qu’il meurt bientôt, puis son épouse, peut-être du cancer a-t-on raconté ailleurs, toujours est-il qu’il restera finalement cinq orphelins, dont au moins deux se suicideront plus tard. Après, après, il y aura bien quelqu’un pour les recueillir, quelqu’un pour leur inventer des histoires de pirates et d’enfants éternels, mais les cinq orphelins, moins les deux qui ne seront plus ni orphelins ni rien, ne cesseront-ils pas d’y croire lorsqu’ils ne seront plus éternels, et ne regretteront-ils pas la réalité qu’ils ont été forcés de fuir? Et alors, que restera-t-il du bon samaritain, n’en mourra-t-il pas à son tour, de ce mépris et, je le soupçonne, de l’opprobre public?

Voilà ils sont devenus orphelins alors que j’en étais à la moitié de la bouteille, une autre gorgée et le mépris déjà sévissait contre ce samaritain que je ne connais pas plus que l’homme au sarcome. Pourtant j’entends ses plaintes, ses cris, ses gémissements, ses soupirs, ses râlements, s’en vient le silence de mort, puis les pleurs, les miens et les siens, on a le droit de pleurer sa propre mort, mais seulement si on a toujours sa voix. C’est bien la sienne, on le sait, on a des preuves ; j’en connais d’autres qu’on ne connaît plus, et cela aussi c’est bien triste, allez.

Contre la mort il y aura toujours l’imaginaire, c’est ce que le samaritain tentera sans doute de léguer aux orphelins, mais personne n’est à l’abri, les plus grands artistes nous écorchent par leurs oeuvres trop belles et par leurs morts trop injustes, et moi je vide la bouteille pour tous ces morts que je ne connais pas, à commencer par cet homme au sarcome. Santé, genre.

 
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Publié par le 14 novembre, 2010 dans prose

 

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Pourquoi Michael Jackson n’est pas drôle – I

Le 20 octobre dernier, j’ai assisté à un spectacle où six aspirants humoristes cherchaient à tour de rôle à dérider la foule. Je crois, à tout le moins, qu’ils étaient six (je crois, aussi, qu’ils cherchaient à faire rire) ; je suis partie à l’entracte, après avoir accumulé le maximum de non-fun. De l’animateur qui, en cette journée contre l’homophobie, s’est porté à la défense des gais en les associant (sans le vouloir?) à des filles à qui on n’a pas besoin d’expliquer les règles lors d’une partie de hockey, à celui qui s’est moqué de la Gaspésie parce qu’elle était loin et que, donc, on devrait s’en séparer : un peu d’humour drôle aurait été bienvenu en la circonstance. Peut-être alors aurais-je mieux accueilli la pointe sur Michael Jackson lancée par le troisième en liste : « Le chanteur : un génie. L’homme : une merde ».

Les éclats de rire ont fusé partout dans la salle. Je reviendrai peut-être, dans un prochain billet, sur l’absence totale de sens critique quand l’esprit est au divertissement. Pour l’heure, c’est à tenter de comprendre où est la blague dans « l’homme : une merde » que je m’appliquerai ici et dans les prochaines entrées – il ne pourra être dit que je n’aurai pas cherché partout et consciencieusement le comique de cette affirmation.

Les démêlés avec la justice

On pensera d’abord que « l’homme : une merde » fait référence aux soupçons de pédophilie qui ont pesé contre Michael Jackson. Faisons abstraction, pour l’instant, du fait qu’il n’y a rien de particulièrement comique dans l’idée d’un adulte qui agresse un mineur – surtout si, en traitant l’homme de merde, « l’humoriste » croit cette idée effectivement fondée.

Je commencerai donc par rappeler que Michael Jackson a été acquitté des charges de pédophilie qui pesaient contre lui en 2005. Fait important à rappeler, puisque les médias, au terme d’une campagne qui le condamnait moins sur la base du procès que par soif de scandale et de sensationnalisme (tel que résumé par Charles Thomson et Aphrodite Jones), n’auront pas eu l’humilité d’admettre avec la même énergie que l’homme était loin d’être une merde, finalement. Du moins selon un jury unanime qui a eu accès aux preuves et qui, en toute connaissance de cause, a rejeté les dix chefs d’accusation. « They didn’t see what we saw. » S’il y a matière à rire ici, c’est en lisant la transcription du procès, où l’un des procureurs, désespéré devant le démenti répété de Macaulay Culkin à l’effet de tout geste inapproprié à son endroit, en vient à suggérer que « while you were asleep as a nine-year-old kid […], you wouldn’t know what happened while you were asleep, right? » Matt Taibbi, dans un article pour le Rolling Stone Magazine qu’il a repris dans un ouvrage, a également souligné le comique de la situation (pour peu qu’on ne la subissait pas) :

The prosecution’s case therefore boils down to this : In a panic over negative publicity, Jackson conspires to kidnap a boy and force him to deny acts of molestation that in fact never happened, and then he gets over his panic just long enough to actually molest the child at the very moment when the whole world is watching.

Visiblement, l’« humoriste » n’est pas allé au-delà de quelques déclarations glanées dans les médias pour émettre son jugement. Alors voilà notre homme qui lit Vanity Fair : « Michael Jackson would probably never have spent more than a moment’s time with this poor, dysfunctional family if he hadn’t had an ulterior motive » (j’omets volontairement le lien vers le site). Coupable et machiavélique, conclura celui qui, avec l’auteure de l’article cité, vit dans un monde merdique (c’est le bon mot) sans solidarité ni générosité aucunes (d’où que tous deux n’auraient jamais entendu parler de l’œuvre humanitaire de Michael Jackson, We are the world, Heal the world, les millions en dons de charité, les visites dans les hôpitaux…).

Mais soit ; il a droit à son opinion, même s’il est incapable de s’en forger une par lui-même. Et puis, la fin justifie les moyens : l’humoriste n’est pas tenu de (faire) réfléchir, mais de faire rire. Ce qui nous ramène toutefois à l’objection du début : en quoi la pensée et le geste de la pédophilie sont-ils drôles? Serait-ce qu’on se bidonne, un peu méchamment mais on ne rit jamais mieux que du malheur de l’autre, de la déchéance d’une superstar? Mais alors, au détriment de l’enfant agressé? Serait-ce de ces blagues qui cherchent à provoquer moins le rire que la réflexion? Mais plus je réfléchis à cette blague, et moins elle a un sens.

À moins que « l’homme : une merde » renvoie aux allégations de 1993 qui se sont soldées par un règlement monétaire hors cour, lequel paraît à certains comme un aveu de culpabilité. Encore là, notre « humoriste » aurait pu lire plutôt que (genre) rire. Il aurait appris qu’un règlement au civil n’invalide pas la tenue d’un procès au criminel – d’autant que ce n’était pas une clause du règlement. Lequel, par ailleurs, a été décidé et assumé par la compagnie d’assurance du chanteur (« The 1993 Civil Settlement was Made by Mr. Jackson’s Insurance Company and was Not Within Mr. Jackson’s Control »), en vertu des droits que lui conférait le contrat et en raison qu’un procès aurait été plus dispendieux. C’est sans compter que la justice a tenté pendant deux ans de constituer un dossier criminel sur Michael Jackson. Que l’éventualité d’un procès demeurait possible jusqu’en 1999, en vertu des lois. Que les procureurs ont dû s’avouer vaincus car ni la présumée victime ni les autres enfants qui ont croisé le chemin du chanteur n’avaient matière à témoigner (Geraldine Hughes). De sorte que si notre ami faisait référence à ces allégations de 1993, il nous invitait à rire à propos de rien – ou, sinon encore, d’une agression pédophile.

À la lumière de ce rapide survol des soupçons de pédophilie qui ont pesé sur Michael Jackson, force est de constater que la blague, si elle y faisait référence, n’a rien qui puisse relier « l’homme : une merde » aux éclats de rire entendus. Ceux qui croient à la thèse de la pédophilie n’auraient pas ri. C’est dire que la clé de la blague se trouve ailleurs, selon toute vraisemblance. Un prochain billet postulera donc que « l’homme : une merde » porte sur l’apparence de Michael Jackson.

[10 avril 2011 : Je n’ai pas poursuivi l’enquête. Si c’était l’apparence de Michael Jackson qui était en cause, j’aurais eu de la difficulté à ne pas lancer, au détour, que c’était l’équivalent de rire des gros – oh, et tiens, l’humoriste était justement gros. Le fait est que cet « humoriste » n’a pas trouvé mieux que de recycler du matériel avec lequel tous les « humoristes » se sont torchés (bravo pour la défécation), et que le public n’a pas trouvé mieux que d’oublier de réfléchir (bravo pour la lobotomisation)].

 
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Publié par le 25 octobre, 2010 dans édito

 

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Témoignages pugnaces

Le décès du ministre Claude Béchard a amené, une fois de plus, son florilège de discours sur la mort en général, la sienne en particulier.

***

« Notre 11 septembre » : Si les États-Unis ont eu leur « 11 septembre », on peut dire que le Kamouraska-Témiscouata aura eu son « 7 septembre ».

On peut le dire, mais peut-être pas à tous ceux dont les proches ont péri sous le World Trade Center.

D’abord, je veux être clair. Je n’ai jamais voté pour le PLQ et je n’ai jamais aimé Claude Béchard comme homme politique, pour plusieurs raisons.

Traduction : « Nous, au PQ, on est quand même capable de compassion. Votez pour nous. »

Je me joins donc à la vague de sympathie qu’a créée cette disparition pour se rappeler qu’il faut aimer la vie et en apprécier chaque moment comme Claude Béchard savait si bien le faire, car un jour la mort nous ravit et nous emmène vers d’autres horizons.

Apprécier tous les instants de la vie : « You’re like Santa Claus… on prozac… in Disneyland… getting laid », comme dirait Phoebe (Friends).

Son départ me rappelle l’urgence de vivre sa vie et ceci immédiatement,

prend-elle le temps d’écrire.

C’est vraiment trop bête, les meilleurs nous quittent souvent les premiers

Qui tient cette fameuse liste où est comptabilisée la mort des meilleurs et des moins meilleurs? J’aimerais bien la consulter.

On oublie souvent qu’il y a des hommes et des femmes derrière les images mediatiques [sic].

On n’oubliera plus, hein?

Il faisait la sale job de pollueur de Charest (Orforf [sic] et Rabaska). Que Dieu lui pardonne.

Car Dieu est péquiste, c’est bien connu.

***

Comme quoi Gaétan Soucy a peut-être raison lorsqu’il écrit que « par sa mort, il [Coco, l’ami] est devenu aussi inconnaissable que Dieu » (L’angoisse du héron, 67).

L’idée n’était pas ici de se moquer des doléances, mais d’en souligner la maladresse, l’imprécision, le cliché, voire l’impertinence… Difficile de ne pas laisser la douleur ou l’incompréhension dire des énormités. D’exprimer notre émotion face à ce mystère qu’est la mort. D’écrire l’ami qui nous quitte.

« On ne connaît que par présence, et tout être se referme sur sa tombe » (idem).

C’est peut-être aussi bien ainsi, cette difficulté à dire le deuil, signe de notre humanité devant une réalité à laquelle on ne s’habituera pas. Pour ma part, je choisis la fiction.

 
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Publié par le 12 septembre, 2010 dans actualité, édito

 

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Condamnés à vivre

J’aurais voulu mourir, mais ils avaient voté une loi contre la mort – pas contre le suicide ; contre la mort, littéralement, considérée comme improductive et, donc, comme répréhensible. La famille du défunt était passible d’une amende de 750 francs multipliés par autant d’années que la personne avait vécu – autant d’années que l’État avait subvenu à ses besoins. Nous étions condamnés à vivre.

Le suicide en bas âge n’était pas pour autant la solution. Les membres des familles ne s’aimaient pas suffisamment pour épargner à l’autre la menace d’une faillite. Chacun revendiquait le droit de vivre, au détriment de ceux qui se ruineraient pour lui. Les plus responsables économisaient le prix de leur mort dès l’enfance, mais la somme était rarement suffisante au final, à moins de se contenter de peu de son vivant. Il fallait être d’une vertu peu commune pour accepter un tel sort.

On en était venu à haïr les aînés, inutiles et pourtant ruineux. L’État les protégeait à coups de gardes-du-corps robotisés, dépense bien ridicule en regard du magot qu’il récoltait lorsque la mort naturelle enfin frappait. Quiconque était reconnu coupable du meurtre d’une personnage âgée était condamné à vivre jusqu’à 100 ans, voire 170 ans si la victime était relativement en santé et sa famille, riche. Les proches de l’accusé le détestaient au point de vouloir le tuer à son tour, et ainsi de suite. Autant dire que tout le monde se dégoûtait pendant que l’État s’en mettait plein les poches.

Les nouveaux-nés et les bambins n’échappaient pas à toute cette hargne. Les parents ne s’en occupaient guère, espérant leur mort précoce. L’État commençait à s’y intéresser lorsqu’ils atteignaient l’âge légal de travailler. Beaucoup avaient survécu en tétant la chatte ou la chèvre. On l’apprit lorsque toute une génération miaula et bêla. Privés du langage, ils ne purent occuper un emploi ni élever une famille qui elle, à tout le moins, aurait pu travailler et payer pour le décès de leurs parents-bêtes. On tua les chattes et les chèvres et on parqua cette génération dans des réserves.

Il y avait quelque chose… dans cet acharnement à vivre.

 
 

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Tuer des bonhommes à lunettes

J’étais au volant de ma voiture. Mon regard fut attiré par une grande et nouvelle affiche, accrochée sur la grille de la cour d’école de mon enfance. On y voyait un bonhomme à lunettes parent qui, l’air de marcher, tenait la main de son bonhomme à lunettes enfant. Je suis ensuite passée au message destiné aux automobilistes : Près d’une école, je prends mon temps, je ralentis. Le temps que je pris pour deviner le dessin et comprendre son slogan, c’est le temps que je ne pris pas pour regarder devant moi et éviter les 2-3 enfants qui auraient traversé la rue à ce moment-là.

Je me demande s’il aurait alors fallu que je prenne aussi mon temps pour rouler bien au ralenti sur eux.

 
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Publié par le 30 août, 2010 dans brève, scène

 

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Protégé : Une certaine vie idéale IV

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Publié par le 26 août, 2010 dans À toi

 

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La mort de Robocop

On vous vend un rêve. Une vie high-tech de Robocop, traversée de rayons laser et de feux de foyers. Une greffe de GPS et de télescopes sophistiqués, capables de zoomer l’atome de coton du divan dont vous discuterez avec le barbu. En prime, une boîte de crayons Prismacolor. Et alors, nécessairement, du monde heureux, et du bonheur, du bonheur.

Lorsque le rêve ne se réalise pas – du rayon laser au monde heureux -, on vous trouve exigeant. On vous reproche de ne pas vous satisfaire de peu. De l’arôme d’un café. D’un rayon de soleil qui perce les nuages. D’un sous noir trouvé sur le trottoir. De marcher, de toucher, de sentir. De respirer. Parce que le nain cul-de-jatte qui souffre d’ostéogenèse imparfaite et d’un cancer des sinus en phase terminal n’a pas cette chance.

Pendant ce temps, les jeunes libéraux se réunissent et entendent lutter contre le cynisme envers le milieu politique. C’est s’attaquer à l’atome de coton d’un divan post-usagé sur lequel on s’est frotté le cul si souvent qu’il est devenu brun. Le cynisme est un mode de vie reçu en héritage, qui prend progressivement la place des illusions. À l’âge où l’on commence à s’intéresser à la politique, la lucidité a déjà court-circuité Robocop.

 
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Publié par le 17 août, 2010 dans édito, présence de soi

 

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Viv et l’Africain qui fait du karaté

Viv venait à peine d’arriver à Glasgow, elle cherchait un hôtel, quand un homme l’aborda, et lui proposa de passer la nuit sur son sofa.

– Acceptez, je vous en supplie. Je suis un Africain qui fait du karaté.

Et appelant tous les amateurs de sofa à sa rescousse, il ameuta le quartier, on l’entoura, il y eut un rassemblement et un agent s’approcha. Après avoir écouté : « Ne soyez pas si prude, dit-il à Viv, un Africain qui fait du karaté ! Achetez-vous un pyjama ! » Alors, en la bousculant, l’Africain qui fait du karaté lui banda les yeux et l’entraîna dans un condo luxueux qui ne figurait sur aucune carte. Il verrouilla la porte derrière lui et la dépouilla aussitôt de son passeport.

– Tiens, se disait Viv, je ne peux plus repartir chez moi. Voilà ce que c’est que d’écouter les amateurs de sofa.

Ayant enfilé son imperméable, elle s’apprêtait à sortir pour aller souper.

Mais il s’indigna violemment : « Comment ! Je t’offre l’hospitalité et tu ne me donnes qu’un cidre de glace ? Tu pourrais être reconnaissante, dear. » Et il lui confisqua sa valise.

Viv pensait : « À Glasgow sans passeport ni valise, ça m’embête un peu. Mais comment le lui faire comprendre sans le froisser ? » Et elle clavardait avec Dolly Parton pour connaître son opinion.

Alors, l’Africain qui fait du karaté : « Eh bien, je parie que tu cherches un moyen pour t’enfuir avec mes meubles. Quelle voleuse ! »

Et il appela en renfort une Blonde qui mange du porridge, avec qui il s’enferma dans sa chambre.

Viv essaya de partir, mais l’Africain qui fait du karaté l’entendit : « Non, ne sois pas si pressée, dear. Joins-toi à nous plutôt. »

Elle était fourbue de fatigue quand elle se réveilla le lendemain.

– Allons, dirent l’Africain qui fait du karaté et la Blonde qui mange du porridge, dépêche-toi, il est 5h et le métro passe à quelque part.

– Mais enfin, disait Viv en songeant à son passeport et à sa valise confisqués, vous pourriez peut-être m’indiquer le chemin de l’ambassade.

– Ah ça, elle est extraordinaire, dear.  Alors, on la divertit et on devrait la renseigner en plus ! Dis-le donc !

Et, lui arrachant ses derniers vêtements, ils la jetèrent dans la rue, sous l’orage.

Tiens, pensa Viv, ça fera un fameux souvenir de voyage plus tard.

 
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Publié par le 13 août, 2010 dans Exil, série Viv, vive Plume

 

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Où l’on parle de mort et de météo

« Viviane. Vient du latin « vivianus ». Signifie « celle qui est pleine de vie » »

Parmi les façons de mourir les plus douloureuses, on comptera celle de mourir en été. Acte contre la nature s’il en est, où le corps est appelé à se décomposer en accéléré par l’effet de la chaleur, avant même d’avoir pu crier « adieu ». Les survivants ne peuvent que pleurer au ralenti.

Je fixais le corbillard devant l’église, entouré de ces mines longues sous un soleil qui disait bonjour aux montagnes. Le cercueil bronzait, égrenant les derniers instants de lumière avant de s’enterrer. Les proches regardaient ailleurs, parlaient d’autre chose, dans des vêtements qui ne se renouvelleront pas. Et moi, moi, je pensais à Stevie Wonder. I never dreamed you’d leave in summer. Troublée devant cette nouvelle réalité que je découvrais – celle qu’on continuait de mourir en été.

Je m’approchai, solidaire devant la perte. Je voulais savoir comment le corps pouvait nous lâcher par si belle saison. Ce n’est pas le corps qui nous lâche, me répondit sa nièce, c’est l’esprit. L’esprit qui se rebelle contre les gazouillements, les rues bordées d’arbres feuillus, les bains de minuit, sachant qu’il n’y en aura plus jamais d’autres. On partira moche, en novembre, ou à la fin de l’hiver après avoir épuisé toutes nos énergies en espérant le printemps. Elle ne souhaitait pas mourir grise. Elle ne souhaitait pas davantage s’attacher aux rires des enfants des terrains de jeu, de crainte de regretter de mourir. Muss es ein ? Es muss ein.

J’ai pensé à Bernard Giraudeau. Puis comme si ma vie défilait à partir de lui, j’ai pensé à Gaétan Soucy, à Louis Bapaume et à ce professeur d’université. Et à toute une série de personnes qui, bien vivantes, ne devaient pas moins leur existence, à cet instant précis, à la mort. Il faisait si beau. Le cortège funèbre s’éloigna, aussi triste que la voix de Françoise Hardy.

 
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Publié par le 21 juillet, 2010 dans présence de soi, prose

 

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Certaines vies

Pendant des années, j’ai préféré lui écrire. Nous partagions les mêmes lieux mais, la douleur, je ne voulais pas la partager. La sienne, toute de silence – celle qui fait le plus mal – me rendait inconfortable. La mienne, toute d’indifférence, me laissait perplexe. Je prétextais nos horaires incompatibles. Des mots laissés sur la table de la cuisine, presque aussi froids que ses repas solitaires. La vérité, c’est que je me cachais dans le garage pour qu’il me croit sortie avec des amis, trop occupée pour lui parler de vive voix.

C’est à ce moment-là que j’ai cessé de vivre. À quoi bon, si je pouvais m’inventer certaines vies à raconter aux autres ? J’ai prétendu faire du cirque avec un sourd qui m’avait appris à dire spaghetti en langage de signes. J’ai fantasmé sur Roy Dupuis, de qui j’aurais vu les fesses ou le prépuce – j’adaptais selon l’interlocuteur. J’avais flirté avec Alan Théo jusqu’à l’avortement. Un marin m’avait confondue avec une prostituée, un Écossais avec une voleuse, un touriste avec une violée. Pendant que je me trouvais à Londres, en Grèce ou en Croatie, je m’enfermais au sous-sol chez moi ; je n’avais pas de photos de voyage parce que celui qui devait m’en remettre les doubles ne m’avait plus jamais rappelée, qu’est-ce que tu veux.

Pendant des années, j’ai préféré lui écrire.

 
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Publié par le 7 juillet, 2010 dans présence de soi

 

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Il était une fois

La catastrophe essentielle qui fonde la réalité du monde, c’est la mort inéluctable de ceux qu’on aime. À qui prétendrait croire à l’irréalité des choses, il suffirait de rappeler la réalité du deuil.
Gaétan Soucy, L’Acquittement

Je n’ai pas supporté l’annonce de sa mort. Ou plutôt, je n’ai pas même voulu essayer. La séance d’auto-mutilation me laissait croire que, au terme d’un vol de sept heures, j’aurais le corps en sang. J’ai préféré avaler une poignée de somnifères, pour dormir, et pour ne pas subir le silence de celui qui m’accompagnait et qui n’en avait plus rien à battre. Abrutie derrière mes lunettes fumées, je le dérangeais moins. Je me rappelle de peu de choses. Au moment même de les vivre, je ne m’en rappelais déjà plus.

J’aimerais le dire autrement – engourdissement général, esprit enfumé, pilote automatique, brouillard opaque, ambiance surréelle… Le fait est que j’étais complètement droguée lorsque je me suis présentée aux douanes. Rien à déclarer, sinon la douleur que je ramène. Non, je ne visiterai pas de fermes. Après, de l’aéroport à l’appartement, je dirais : téléportation. Le reste ne serait que suppositions.

On m’a cru morte sur le divan. Le téléphone ne fonctionnait pas. On a défoncé la porte. Mais ce n’était pas moi qui étais morte. C’était lui, c’était nous, c’était Londres, c’était la Grèce, c’était… peut-être moi aussi, par conséquent. Morte devant ce mot sur la table, comme une lettre de suicide : j’ai acheté des billets pour le 1er septembre. Morte devant le téléviseur qui vomissait la nouvelle en boucle. Morte au kiosque à journaux où j’ai tout acheté, de La voix de l’est au quotidien arabe. Non, je ne suis pas journaliste, monsieur, j’aime seulement me tenir informée, oui, même dans des langues que je ne comprends pas. Il était impressionné.

Il pleuvait des clous cette journée-là, des clous qui me crevaient le coeur. J’étais transpercée en rentrant chez moi. Je ne sais pas quelle chanson j’ai écouté en premier. J’ai continué de vivre dans la peau de quelqu’un d’autre pendant un mois. Jusqu’à ce que je me retrouve presque mariée à un homme que je n’aimais pas, qui m’avait découverte évanouie dans un parc et qui en avait profité. Certains ont alors voulu croire à mon suicide, mais c’est d’eux dont j’ai dû me suicider finalement, pour me reprendre en main et faire mon épicerie sans la police à mes trousses.

Depuis, j’écris. Cela fait un an que j’écris le même texte. Son image s’impose chaque fois que vient le temps d’écrire, même si, au quotidien, j’ai à peu près cessé de mourir.

Il n’y a pas de déniaisage plus violent que le deuil. Chacun nous perce à bout portant des trous dans l’âme. Qui sait si nous ne finissons pas par mourir de nos morts ? Vidés de notre sang, vidés de notre substance par ces trous que nos morts crèvent en nous, comme des balles de revolver ?
Gaétan Soucy, L’angoisse du héron
 
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Publié par le 27 juin, 2010 dans présence de soi

 

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Tsé

Il ne fallait pas me chercher. J’étais à Paris en train de savoir. On sait beaucoup de choses en France. Comment parler, visiter et harceler, comment livrer les nouvelles, comment pleurer de joie. Je voulais savoir, je savais même déjà, mais j’aurais préféré qu’il n’y ait rien à savoir. Encore moins à Paris, où j’étais condamnée à (le) savoir seul(e).

Il ne faut pas me chercher. Je suis à Athènes en train de ne pas savoir. On sait peu de choses en Grèce. Ni comment gérer son argent, ni comment aimer, ni comment ne plus aimer. Tout au plus sait-on baiser, pêcher et pleurer, dans l’ordre des événements mais dans le désordre des personnes. Encore eût-il mieux valu qu’on ne sache jamais rien. Parce qu’une fois qu’on sait, il ne reste plus qu’à se rappeler.

Il ne faudra pas me chercher. Je serai à Édimbourg en train de faire semblant de ne pas savoir. On fait semblant de ne pas savoir à propos de beaucoup de choses en Écosse. Comment parler anglais, comment rencontrer Peter Pan, comment ne pas mourir. Mais on meurt quand même. Et on sait. Et on se rappelle.

 
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Publié par le 18 juin, 2010 dans Exil, présence de soi

 

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Le spasme de vivre

« Yeah, either that, or Gloria Estefan was right, eventually, the rhythm is going to get you. »
Chandler, Friends

Il dansait, mais il n’était pas là pour ça. La musique lui suintait des bras et lui transcendait le bassin ; quelques convulsions s’égaraient jusqu’aux pieds. Il aurait fait rire de lui dans une discothèque. Encore qu’il en serait reparti avec une femme fatale des années 50. Lui, complet de pingouin et canne de révolutionnaire, elle, fourreau de sablier et décolleté de bénitier. Ils auraient vécu en diables, à l’abri du nucléaire.

Peut-être auraient-ils eu des enfants, enivrants et éclectiques. Oui, une trentaine d’enfants, des pingouins, des sabliers, des démons de latex et de nylon : tout un orchestre qui aurait swingé de Cuba à New York. Un déferlement de tremblements de terre. Qu’importe si quelques-uns seraient morts sous les décombres si tant d’autres se seraient shaké le frou-frou.

Momifiés par le glam, ils seraient devenus une entité hédoniste. Elle aurait scintillé et vibré des miles à la ronde, sous les volutes des cigares et les flots d’alcool. Désormais insomniaque, l’Amérique tout entière se serait déhanchée à sa suite, au rythme des trompettes. Le spasme aurait été institué en mode de vie. Les cucarachas et les bongos auraient enfanté les générations futures, un peu moins pingouins, un peu plus fleurs. Elles auraient continué à se saucer dans la même transe jubilatoire.

Mais il n’était pas là pour ça, danser.

 
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Publié par le 16 Mai, 2010 dans prose

 

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Veuve en strass

La loi du plus fort, c’était celle des Beatles. Autant dire que j’ai grandi dans la nostalgie d’un idéal perdu. Partout, des affiches, des tasses, des gilets, des billets de spectacles commémoratifs, des partitions, des disques, des compilations, des cassettes vidéo achetées à l’étranger qui ne fonctionnaient pas dans les appareils d’ici ; partout ces produits qui résumaient les Beatles. Des objets qui se reproduiraient à l’infini, mais à partir d’une matière première épuisée. Pourtant, la musique jouait en boucle. Let it be l’emportait sur Obladi oblada, John Lennon sur Paul McCartney. Cette fidélité à un groupe sans avenir me fascinait autant qu’elle m’attristait : aimer des morts, c’était aimer en grand, sans espoir et sans attente.

J’aimais sans d’autre espoir que l’éternité. Lui-même la désirait, pour peu qu’elle signifia aussi immuabilité. Il n’aura pas su se mentir plus longtemps.

C’est curieux, de se retrouver maintenant de l’autre côté du miroir. Je me rends compte que j’en retirais une certaine fierté, d’aimer un vivant. J’avais un avenir ; il avait survécu au débarquement de Normandie, mais pour mieux tomber sous le cheval de Troie, finalement.

Au moins aime-t-on davantage après. C’est là que l’éternité commence.

 
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Publié par le 13 Mai, 2010 dans présence de soi

 

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LITTÉRAUTEURE?

« Nous écrivons autant que nous ne parlons pas »
Pascal Quignard, Petits traités I

« Qu’est-ce que tu fais, au juste, comme travail à l’université ? »

Elle était sur son lit de mort. Au moment où l’on s’intéresse à tout et à n’importe quoi parce que la mort menace de nous le dérober. Non pas qu’elle s’en désintéressait auparavant ; elle ne savait pas même que la chose avait d’autre réalité que son énonciation.  « Je travaille à l’université » : un sujet reconnaissable, un verbe commun, un lieu identifié ; on pouvait y comprendre quelque chose sans réaliser qu’on n’y comprenait guère plus que les mots. Mais ce qui nous importe peu n’a pas davantage d’existence. Elle voulait maintenant y donner une existence alors que la sienne suintait de partout.

« Je lis. J’écris… »

Eût-il fallu qu’elle me demanda pourquoi et je l’aurais laissée crever seule. Ma vie professionnelle m’échappe autant que la vie de son corps. Ça m’arrange d’être Chandler – this has something to do with numbers…and processing…and he carries a briefcase… TRANSPORTER! that’s not even a word! Parce que j’ai quelque chose à voir avec les livres… et l’écriture… et que je transporte un ordinateur (ou un calepin, ou un gros gin, c’est selon)… LITTÉRAUTEURE? ce n’est même pas un vrai mot. Heureusement, d’ailleurs.

Il faudra, à mon tour, que j’attende l’article de la mort pour m’intéresser à ce que je fais, et en dépasser les mots pour en comprendre la réalité qui ne durera que le temps d’un dernier soupir. Comme toute réalité.

 
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Publié par le 6 Mai, 2010 dans littérature, présence de soi

 

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